Tribunes

C’était mieux avant

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Le dernier ouvrage de Grafton Tanner, Foreverism, décrypte un phénomène qui nous fait revivre depuis deux décennies le jour de la marmotte. Tels des Bill Murray qui s’ignorent, nous sommes condamnés à vivre un jour sans fin durant lequel renaissent les signes, les codes, les références d’un passé idéalisé. Les uniformes à l’école, les remakes au cinéma, ACDC et Angus Young en short au Stade de France, les pantalons léopard et les Converse montantes, la frange Jeanne Birkin resurgissent dans nos vies comme un éternel recommencement. À première vue, rien de nouveau. Toutes modes et toutes cultures se construisent sur leur héritage. De Chardin à Zurbaran, Picasso a pillé ses maîtres mais, guidé par un désir d’invention, il a inventé le langage du XXe siècle. Aujourd’hui, sous nos latitudes, le futur fait figure d’épouvantail.

 

Les marques, aux avant-postes de ces tendances, cultivent le genre. Les constructeurs automobiles européens, pourtant aux pointes de l’innovation, reconsidèrent leur branding les yeux plongés dans leur rétroviseur. Avec talent, bien sûr, lorsque les logotypes, exhumés d’un passé qui remonte à leurs origines, renaissent de leurs cendres plaqués sur des modèles appartenant à notre imaginaire collectif. La R4 ou la Twingo, la R5 turbo, version bombe électrique, la Fiat 500, la Mini BMW ou le combi Volkswagen en sont, parmi d’autres, les meilleurs exemples. Redonner vie à des véhicules conçus lorsque les acheteurs d’aujourd’hui avaient 20 ans réveille bien sûr la madeleine qui est en nous et un désir qui fait sens. Mais c’est donc avant tout en Allemagne, en Italie en Angleterre et en France, que s’exprime pleinement cette nostalgie. Il y a dans ce mouvement le besoin urgent de célébrer la grandeur d’un temps menacé par le rééquilibrage des influences mondiales. La vieille Europe et ses marques plus que centenaires ont beaucoup inventé et se plaisent à le répéter. Elle laisse entendre que c’est dans les vieux pots que l’on fait la meilleure confiture.

Cette tendance qui hésite entre nostalgie et peur de l’avenir, ne se limite pas au secteur automobile. Lucky Strike, Rossignol, Burberry ont fouillé leurs archives pour y dénicher le signe originel et original, perdu au fil du temps lorsqu’il était question à chaque évolution de signifier l’audace de la modernité. Au risque de se perdre. Retour aux origines, retour aux valeurs qui ont fait leur succès, via leur identité, ces entreprises espèrent ainsi retrouver l’éclat d’antan. Burger King et Fischer Price se sont laissés tenter ces dernières années par le même élixir : prendre de l’âge sans vieillir, rester perpétuellement jeunes dans les habits de ses grands-parents… Le Foreverism s’invite dans les domaines les plus inattendus comme celui de l’intelligence artificielle, lorsque la licorne Mistral AI, vierge de toute Histoire et de capital immatériel adopte dès sa création en 2023 un logotype rétrofuturiste hérité du pixel art des années 80 comme emblème certes sympathique, mais emblème d’une technologie obsolète…

 

Pendant ce temps, en Chine, dans un pays fort d’une culture de 5000 ans, la jolie baleine de Deepseek échappe à la nostalgie et à la technophilie, comme l’avait fait l’oiseau de Twitter avant qu’un autre, de mauvais augure celui-ci, ne fasse une croix dessus. Là, pour le coup, c’était mieux avant.

Et BYD nous propose du rêve en faisant le pari du futur. Yangwang, l’une de ses filiales crée en 2023 bat le record de vitesse de la Bugatti Chiron, une marque plus que centenaire qui a remis à l’honneur, en 2022, le monogramme historique de son fondateur Ettore… Le groupe chinois secoue le secteur automobile. Il impose à bas bruit mais à toute allure de nouveaux modèles, de nouvelles technologies, de nouveaux moyens de transport et de nouvelles performances pour inonder les marchés occidentaux. Il ne trimballe pas d’oripeaux, il a les atouts de sa jeunesse.
Il trace une route pour l’heure sans récit référent, sans mémoire et sans crainte. Forever into the future.

Gilles Deleris

Creative Director and Co-Founder - W Conran Design

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